Ne négligeons pas l’actionnaire individuel…

Le point de vue de Guy Loichemol sur Les Echos.fr le 11 juillet 2013

« La saison 2013 des assemblées générales tire à sa fin. D’un point de vue juridique, le constat est positif puisque la plupart des assemblées générales ont connu des niveaux record de vote des résolutions proposées aux suffrages des actionnaires. En revanche, du point de vue de la relation à l’actionnaire, la baisse de la fréquentation aux assemblées générales est préoccupante. Cette tendance est liée, sauf exceptions bien connues, au peu d’intérêt des sociétés cotées pour leurs actionnaires individuels. Pourtant, c’est sans doute d’eux dont dépendent les clefs de leurs développements futurs. Comment en est-on arrivé là ?

Au-delà du quitus donné au management pour sa gestion et le vote ou non d’un dividende, l’assemblée générale fut longtemps la seule rencontre entre la société cotée et ses actionnaires individuels. L’assemblée générale leur était d’ailleurs exclusivement réservée. Mais au fil du temps et l’accès donné à la Bourse au plus grand nombre, notamment au moment des grandes privatisations et ouvertures de capital des entreprises publiques, l’assemblée générale a élargi son public s’adressant tout autant aux publics internes, à la presse et aux autres parties prenantes. Certes, les sociétés cotées ont fait de gros efforts pour que leur accueil soit optimal et créé ainsi les conditions d’une réunion sans accroc, mais sur le fond, les assemblées générales ne concernent plus vraiment les actionnaires individuels. Plus récemment, l’ouverture à tous via la retransmission sur Internet, la possibilité de podcaster leurs contenus vers des publics n’ayant pas le statut d’actionnaire ont transformé ces AG en grand-messe pour l’entreprise alors surexposée. Les patrons, pleinement conscients que leur discours sera suivi, interprété, décodé par tous les publics de l’entreprise, ont adapté leurs messages en oubliant le plus souvent la relation à l’actionnaire traité avec respect et déférence. Or si l’on continue dans cette voie, demain, l’actionnaire individuel sera considéré comme une partie du décor. Il serait irresponsable d’en arriver là, irresponsable pour notre économie et la santé de nos entreprises.

Déjà trop absents du capital des entreprises, alors que leur capacité d’épargne reste importante, les actionnaires individuels sont considérés par nombre de sociétés cotées comme une population plus contraignante que constructive dont il faut se défaire assez vite. C’est oublier le rôle essentiel qu’ils peuvent jouer dans leur financement, en particulier à l’heure critique où les sources se tarissent de plus en plus. Il n’y a rien à attendre dans l’immédiat des pouvoirs publics qui, bien que pouvant jouer un rôle primordial, ont pris d’année en année des mesures décourageant l’investissement en valeurs mobilières. Les sociétés cotées n’ont alors d’autres choix que d’agir elles-mêmes en faveur de cette reconquête.

Partir à la reconquête des investisseurs particuliers, c’est accepter que l’actionnaire a lui aussi évolué, que ses exigences ont changé, que ses sources d’informations ont été bouleversées notamment avec l’arrivée des nouveaux médias. C’est connaître son profil et ses comportements et en finir avec les idées reçues d’« un actionnaire individuel qui coûte cher » ou « d’un actionnaire individuel intéressé par les seuls petits fours et cadeaux ». C’est tâcher de comprendre ses attentes. C’est oser se réinterroger sur le contrat relationnel à nouer avec lui. Trop d’outils sont encore aujourd’hui utilisés sans perspective réfléchie ni aboutie.

Fort heureusement, certaines sociétés apportent déjà des réponses via notamment la mise en place d’outils relationnels comme les comités consultatifs ou les clubs d’actionnaires. Sans ces initiatives, cette population diminuerait encore, se mobiliserait toujours moins et l’équilibre qui soutient le fonctionnement de notre économie, celui des sources de financement des entreprises, serait encore plus fragile. Il est grand temps d’agir pour rediriger l’épargne des particuliers vers les actions en direct et encourager la détention à long terme d’actions de sociétés petites et grandes. Car c’est aussi de la participation des particuliers au financement et à la croissance de nos entreprises que dépendront notre compétitivité et la marque France. »

Guy Loichemol

Guy Loichemol est « partner » de Havas Paris

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